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Aoua Bocar Ly Tall - L’indésirable sociologue « anti-terroriste » sur les terres de Pastef…

Lundi 6 Janvier 2025

Pourfendeuse de ceux et celles qu’elle qualifiait naguère de terroristes, la sociologue Aoua Bocar Ly Tall, nommée par décret présidentiel membre du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), est sous les feux d’une puissante vague de rejet au sein du parti Pastef au pouvoir. La mise au point d’Ousmane Sonko va ramener le calme, mais jusqu’à quand ?

Aoua Bocar Ly Tall, nouvelle membre du Conseil national de régulation de l'audiovisuel. Une nomination qui ne passe pas au sein du parti au pouvoir, Pastef.
Aoua Bocar Ly Tall, nouvelle membre du Conseil national de régulation de l'audiovisuel. Une nomination qui ne passe pas au sein du parti au pouvoir, Pastef.

La nomination d’Aoua Bocar Ly Tall comme membre du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) ne passe pas dans les rangs de Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité). Une véritable révolte contre le décret du président a émergé à l’intérieur du parti présidentiel au pouvoir et pris de la bouteille sur les réseaux sociaux, enflammée par des militants et sympathisants « soucieux » de protéger « Le projet » contre les « intrusions opportunistes » de personnalités de l’ancien régime. La dame est accusée, entre autres dérives, d’avoir qualifié les militants de Pastef de « terroristes » dans leurs manifestations légitimes contre l’ancien régime. Pastef en est tout secoué jusqu’a provoquer l’intervention du premier ministre Ousmane Sonko, sa « personne morale ». 

 

Aoua Bocar Ly Tall est une sociologue. Elle fait partie des 8 profils choisis par le président Bassirou Diomaye Faye pour constituer le nouveau collège du CNRA, l’organe de régulation des médias et de l’audiovisuel sénégalais. Ils sont nommés pour un mandat unique de six ans à partir du 11 décembre 2024. Ils sont irrévocables jusqu’au 10 décembre 2030.

En octobre 2024, le parti présidentiel avait été secoué par une affaire quasi identique avec la nomination en conseil des ministres de Samba Ndiaye à la présidence du conseil d’administration de la SN-HLM (Société nationale des habitations à loyer modéré). Un tollé général avait également contraint Ousmane Sonko a s’extirper de ses fonctions primatoriales pour éteindre l’incendie. Officiellement, Samba ndiaye, accusé d’être un transhumant bien trop mobile d’Abdoulaye Wade à Macky Sall avec qui il a exercé de hautes fonctions,  est toujours en poste. Mais des propos du premier ministre Ousmane Sonko dans son intervention du 5 janvier 2024 sur le dossier d’Aoua Bocar Ly Tall suggèrent le contraire…

 

Janvier 2025. Quelques heures après la publication de la liste des membres du CNRA, c’est l’explosion sur les réseaux sociaux avec le déchaînement de militants de Pastef opposés à cette mesure. Pour eux, la nomination d’Aoua Bocar Ly Tall est « un manque de respect manifeste à l’endroit de tous ceux qui se sont battus pour mettre un terme au régime de Macky Sall ». Trois figures du parti sont visées : le chef de l’Etat Bassirou Diomaye Faye et le premier ministre Ousmane Sonko, co-signataires du décret qui fâche. Mais c’est Alioune Sall qui est considéré comme le principal responsable de cette « trahison ». Il est le ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique (MCTN), la tutelle gouvernementale qui a l’oeil sur le CNRA et dont le nom est aussi présent sur le décret de nomination.

 

Pour comprendre le courroux des militants et responsables de Pastef, il faut regarder dans le rétroviseur des événements politiques qui ont secoué le pays au cours de ces dernières années. En mars 2021, Aoua Bocar Ly Tall voit dans le déferlement populaire contre l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko « un danger d’envahissement » du Sénégal « par des terroristes ». Pour elle, « il était invraisemblable (…) que la violence des destructions et des meurtres soit le fait de la jeunesse sénégalaise (…) ». 

 

Dans ces événements de mars 2021 et dans ceux qui ont suivi jusqu’à la chute de Macky Sall, la mort violente de plusieurs dizaines de personnes a été souvent documentée par les organisations de défense des droits humains comme Amnesty International. Toutes sont des civils, quasiment des jeunes qui ont affronté les forces de sécurité (police et gendarmerie) dans plusieurs causes : faire respecter les droits de l’opposant Sonko, dissuader l’ex président de briguer un troisième mandat illégal, contrer le report de la présidentielle du 25 février 2024, etc. 

 

Selon Aoua Bocar Ly Tall, les actions des « terroristes », apparemment des non sénégalais venus de l’étranger, étaient de nature à « déstabiliser » le pays, « dernier verrou » de stabilité « en Afrique de l’Ouest » qu’il fallait à tout prix protéger. A cette fin, « il faut tout faire pour que le régime [de Macky Sall, NDLR] ne tombe pas…», écrivait-elle en rapport avec les soubresauts de mars 2021.

 

Par delà les « agressions » contre eux, les militants de Pastef fustigent par ailleurs le sens « ethniciste » de la nouvelle membre du CNRA. Originaire du Fouta, une vaste région dans le nord du pays en bonne partie frontalière avec la Mauritanie, Aoua Bocar Ly Tall ne s’est pas privée d’une envolée jugée sectaire et dangereuse pour la cohésion nationale en vantant ses origines ethniques.

 

« Toutes les personnes valeureuses de la société sénégalaise viennent du Fouta Tooro. C’est en effet le cas d’El Hadj Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba Ba, Mame Ablaye Niasse, Seydina Issa Laye parmi les chefs spirituels et religieux, mais aussi les spécialistes et cadres de tous bords. Vive le Pulaagu ! » C’était en octobre 2024. Pour des militants et responsables de Pastef, la culpabilité de la sociologue ne fait d’autant pas de doute qu’elle se serait empressée de nettoyer ses écuries d’Augias sur ses plateformes de communications dès qu’elle a eu écho des démarches visant à la faire accepter au CNRA.

 

Dans ses répliques sur les médias, Aoua Bocar Ly Tall assume ses propos. Elle n’y revient pas. Mais elle appelle ses détracteurs à considérer également le versant angélique d’une personnalité qui ne serait pas entièrement diabolique. A l’intention des militants de Pastef, elle rappelle ainsi avoir défendu bec et ongles le président Bassirou Diomaye Faye lorsqu’il avait été attaqué sur ses deux épouses par la chroniqueuse de « Jeune Afrique » Faouzia Zouari. C’était lors de la cérémonie d’investiture du 3 avril à Diamniadio.   

 

« Madame F.F., monsieur Bassirou Diomaye FAYE en a décidé autrement, en prenant totalement ses responsabilités. Vu qu’il a deux épouses, s’il s’était présenté avec une seule, n’est-ce pas là qu’il aurait fait preuve d’opacité ? Il a choisi la transparence. Du même coup, il se conforme ainsi aux recommandations de sa religion, l’Islam qui limite le nombre d’épouses à quatre au maximum, mettant fin aux harems antéislamiques (10 à 300 épouses et plus) », répondait-elle dans une sortie remarquable contre « Madame F.F. » 

 

C’est peut-être ce coté ‘’militante à l’improviste’’ d’Aoua Bocar Ly Tall qui a convaincu Bassirou Diomaye Faye de promouvoir la « pestiférée » au sein du Conseil national de régulation de l’audiovisuel. Et aussi ceci : 

 

« (…) Le président du Sénégal a donné le droit à chacune de ses deux épouses d’être présente à ses cotés en ce jour historique de son investiture. En fait, il a même innové. On ne peut que l’en féliciter. Et, les secondes, troisièmes et quatrièmes épouses devraient désormais "sortir des placards" et occuper leur place de pleine épouse. Car, chacune d’elle est une première dame de la Nation. » 

 

Des propos bienveillants à l’endroit du chef de l’Etat, survenus après le changement de régime, et que des Pastéfiens considèrent comme une stratégie visant à polir son image d’ex pourfendeuse des « terroristes » arrivés démocratiquement au pouvoir le 24 mars 2024.

 

Le président Bassirou Diomaye Faye ne reviendra pas sur la nomination de la sociologue. La mise au point faite par son premier ministre dans la soirée du 5 janvier 2024 l’en dispense et le conforte dans sa vision d’un Sénégal de pardon et de réconciliation qu’il promeut à chaque occasion. 

 

Se définissant comme « la personne morale de Pastef », Ousmane Sonko a demandé à ses partisans de savoir raison garder en reconnaissant au président de la République la sacralité de ses pouvoirs constitutionnels de nomination aux emplois civils et militaires. S’il reconnait de la « bonne foi » à certains qui assurent « leur posture de veille », il dénonce l’opportunisme d’autres militants et/ou responsables. Ils « sont dans une démarche négative consistant à dire que l’appartenance au parti octroie de nouveaux droits, comme celui d’accuser à tort et à travers. »

 

Ousmane Sonko admet que le président de la République et le gouvernement peuvent faire des erreurs dans le processus des nominations, « mais nous ne commettrons pas de faute. »

 

La sortie du chef Sonko va sans doute éteindre le feu dans la maison Pastef. Mais le propos du député Guy Marius Sagna trouve un large écho dans le parti au pouvoir. Sur sa page Facebook, le remuant parlementaire se range du coté de la base radicale en demandant à « corriger cette erreur » de deux façons : « soit par la démission de la concernée », « soit qu’elle soit enlevée des membres du CNRA. » Une démarche qui affaiblirait fortement l’autorité de Bassirou Diomaye Faye et contre laquelle s’est insurgé Ousmane Sonko. Les lignes de fracture demeurent…

 

Selon Alioune Tine, président du think-tank Afrikajom Center, « le nouveau régime de Diomaye et Sonko fait l’expérience du conflit entre patriotisme de parti et patriotisme d’Etat…»

 
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